Spécialiste du judaïsme, Jean-Christophe Attias raconte dans un livre son parcours hors norme. Celui d’un juif converti qui se revendique comme non-croyant.
« Il ne s’agit pas de savoir si Dieu existe, mais si on peut lui faire confiance », assure Jean-Christophe Attias, professeur à l’École pratique des hautes études (et collaborateur régulier du Point ). Lui a tout bravé pour devenir juif, puis pour assumer son statut d’incroyant… juif. Cette aventure singulière, il la raconte dans Un juif de mauvaise foi (JC Lattès). Ou le récit d’une conversion réussie, même si elle peut sembler ratée, d’un combat qu’il raconte avec humour, voire tendresse, non sans quelques coups de patte assassins contre l’une ou l’autre de ses communautés, la chrétienne (qui ne se soucie pas de lui), et la juive (qui l’aime peu, voire pas du tout).
Tout a commencé un dimanche, en Charente, à la table familiale, au moment où il déclare devant son boudin noir : je ne mange pas de porc. Il a 20 ans. Dans la cuisine, c’est le choc. Sa mère, catholique, a épousé par amour un Juif d’Afrique du Nord, lecteur de Kierkegaard et de Nietzsche, qui a adopté sans façon le saucisson. Dans cette France bien profonde, l’intégration est alors une marque de politesse que l’on ne refuse pas. Mais le jeune Jean-Christophe, lui, veut être juif, un vrai, qui étudie à la yeshiva, prie le plus souvent possible à la synagogue, porte la kippa, mange kasher, ne prend pas l’ascenseur dès que commence le shabbat, chôme à toutes les fêtes juives, etc. Dans le coin de la forêt de Braconne, où son père est le proviseur du collège, on le regarde d’un drôle d’air. À Paris, dans les différentes communautés juives qu’il essaie de pénétrer, aussi. Sa mère n’est pas juive, non ? Et ce prénom, Jean-Christophe ! Plus goy, tu meurs. Mais c’est un têtu, le fort en thème.
Conversion en un temps record
Comment va s’opérer en moins de deux ans son entrée à la Synagogue (comme disaient autrefois les chrétiens), le livre vous le dira. Comment il va se transformer en juif orthodoxe aussi zélé que tourmenté, aussi. Il vous dira même comment il a contribué à la conversion de son papa. Mais est-il heureux ? Longtemps, il mène une vie « un peu terne » de juif orthodoxe et de « petit prof de collège », comme aurait dit son père. S’il fut heureux, ce fut au collège Jean-Lurçat de Sarcelles, dans la petite « Jérusalem juive » de la banlieue parisienne. Non parce que ses élèves étaient tous juifs, loin de là, mais justement parce qu’ils venaient de partout, arboraient des teints de toutes les nuances et des professions de foi variées. C’est là qu’il a commencé à s’inquiéter : était-il sur la bonne voie ? Vous l’avez peut-être compris : comme beaucoup, Jean-Christophe Attias souffre d’une identité trop complexe. Il n’est ni ceci, ni vraiment cela. Alors, se mouler dans le statut du juif pratiquant, converti de surcroît et donc obligé d’en faire des tonnes, cela finit par le lasser. D’autant que ses séjours en Israël, pour passionnants qu’ils soient, le laissent songeur quant à l’ouverture d’esprit de la Terre promise.
Et Dieu créa la femme…
Un jour pourtant, mazeltov, le miracle survint : il rencontre une prof juive d’origine turque, polyglotte, porteuse de plusieurs passeports et qui n’a pas froid aux yeux. D’ailleurs, elle ne croit pas que Dieu existe. « Le jour où je l’ai rencontrée, je suis enfin devenu juif. Pleinement. À savoir que je pus enfin commencer à devenir un mauvais juif. Il était temps. » Elle s’appelle Esther Benbassa, est aujourd’hui sénatrice (Europe Écologie-Les Verts) et l’une des personnalités les plus détestées en France par les partisans du sionisme, car elle soutient le principe d’un État palestinien. Attias, qui, entre-temps, est devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la pensée juive médiévale, est son Lancelot, son chevalier blanc à la vie à la mort. Quant à son livre, il est passionnant à au moins trois titres : pour l’historien, ses anecdotes sont autant de sources d’information sur la vie d’une communauté finalement très discrète, et notamment sur les conflits qui opposent ses intellectuels (violents…) ; pour celui qui s’intéresse au fait religieux, c’est un témoignage fascinant sur le besoin de croire, ses ressorts, ses conséquences, etc. Enfin, c’est un livre thérapeutique, car rassurant, notamment pour les parents dont les enfants décident brutalement de se convertir sur le mode extrême à une religion, quelle qu’elle soit. Ce que montre Attias, c’est qu’il arrive que cela passe. La vie dépend souvent d’une rencontre.
* Un juif de mauvaise foi, Jean-Christophe Attias, JC Lattès, 416 pages, 20,90 euros.