VIDÉO. Ce commentaire de la loi juive est le corpus fondamental du judaïsme vivant, celui qui forme et interroge. Explications en vidéo de Jean-Christophe Attias.
Par Catherine Golliau
Qu’est-ce que le Talmud ? Le texte le plus fondamental du judaïsme avec la Torah, celui qui lui permet d’évoluer en même temps que le monde. Comme l’explique Jean-Christophe Attias, professeur à l’École pratique des hautes études et auteur, entre autres, de Penser le judaïsme (CNRS, 2013), les textes sacrés du judaïsme ne se limitent pas en effet aux livres bibliques. Très tôt, en Palestine comme en Babylonie où une partie du peuple juif a été exilée à partir du VIe siècle avant notre ère, les juifs ont été amenés à réfléchir sur le sens de leurs textes fondateurs à l’aune de l’histoire et de la vie quotidienne.
De ce travail de réflexion mené pendant des générations est née la Mishna ou loi orale. Si l’on croît le grand philosophe Maïmonide (1138-1204), la loi orale n’aurait d’ailleurs jamais dû être écrite. « Tous les commandements qui ont été donnés au Sinaï l’ont été avec leur explicitation ainsi qu’il est écrit (Exode, 24, 12) : Monte vers moi sur la montagne et je te donnerai les tables de pierre, la Torah et la Mitsvah […] », écrit-il dans son introduction du Michneh Torah, son grand code du droit rabbinique.
Un ouvrage unique destiné à être entre les mains de tous
« La Torah désigne ici la Torah écrite, et la Mitsvah est son explicitation, ses modalités d’application, ce qu’on appelle la Torah orale. […] Depuis Moïse jusqu’à Rabbi Juda le Saint [rédacteur de la Michnah], il n’a jamais été écrit d’ouvrage en vue d’enseigner en public la Torah orale […] Celui-ci a rassemblé toutes les traditions, toutes les lois et tout ce qu’avaient enseigné les tribunaux de génération en génération, et en a composé le livre de la Michnah. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Parce qu’il a observé que le nombre des élèves allait en diminuant, que les malheurs se multipliaient, que le royaume criminel s’étendait et se renforçait et qu’Israël se dispersait de plus en plus. Il a alors rédigé un ouvrage unique destiné à être entre les mains de tous, que l’on puisse étudier rapidement et ne pas l’oublier. »
Ainsi, nécessité a fait loi. Débattu, augmenté, cet ensemble d’enseignements a donné naissance vers la fin du Ve siècle de l’ère courante à un corpus écrit, le Talmud, immense commentaire qui a lui-même deux sources, l’une en Terre sainte, l’autre en Babylonie, le corpus de Babylone faisant finalement autorité dans l’ensemble du monde juif.
Le corpus fondamental du judaïsme vivant
La grande défaite des Juifs face aux Romains en 70, l’écrasement de la seconde révolte juive en Judée en 135, l’exode et la dispersion qui s’ensuivirent, la montée en puissance du judaïsme rabbinique, le fait aussi que les chrétiens considéraient eux aussi la Bible comme un texte fondateur, rebaptisé par eux l’Ancien Testament, tous ces éléments ont pesé pour que le Talmud devienne, plus encore que la Torah, le corpus fondamental du judaïsme vivant. Non sans débat d’ailleurs : apparus dans la Babylonie du VIIIe siècle, les karaïtes, dont il reste aujourd’hui environ 20 000 représentants, pour moitié vivant en Israël, s’en tiennent ainsi au strict texte biblique.
Mais pour l’immense majorité des juifs, le Talmud, présenté avec les commentaires du grand rabbin médiéval Rachi (1040-1105), est l’ouvrage que méditent et sur lequel se forment les croyants. « Lire le Talmud, c’est l’épreuve à laquelle se confronte tout intellectuel juif, pour le comprendre, mais aussi en adapter les enseignements au monde contemporain », explique ainsi Jean-Christophe Attias. La matrice qui nourrit le judaïsme.