Jean-Christophe Attias publie au Cerf ce 2 mars Dieu n’a pas créé la nature. Judaïsme et écologie.
Le texte du prologue (p. 11-13):
Ni parti. Ni chapelle. Il n’y a rien dans ce livre dont je ne sois seul responsable. Sauf l’idée même de l’écrire. Cette idée, je la dois en effet à un tiers. À une écologiste. Voilà qui est dit. Mais qui ne dit rien de ce que ce livre est vraiment. Cette écolo-là est hors-cadre, de toute façon. Et je l’ai connue bien avant qu’elle le devienne. C’est une universitaire, d’abord. Une intellectuelle, aussi. Et c’est enfin la femme qui partage mon existence : Esther Benbassa. La même qui, fâchée de me voir oisif ou hésitant, mais toujours attentive au murissement brouillon de mes curiosités, m’a souvent demandé, au fil de nos quarante années de vie commune : « Et si tu écrivais un livre sur… ? » Cette fois, dans sa question, il devait y avoir « Dieu », « la Bible », « la nature », « les juifs ». Je ne sais plus trop, en fait. J’ai simplement répondu : « Pourquoi pas ? » Et je me suis mis au travail. Voici donc aujourd’hui le fruit de cet échange aussi bref que décisif. Il n’est sûrement pas celui qu’elle espérait, ni même celui auquel elle s’attendait. Mais qu’importe ? Il me surprend un peu moi-même.
Je n’y suis pas allé tout à fait sans bagages, bien sûr. Et si je n’ai pas lu tous les livres, loin de là, j’en ai lu quelques-uns. Élisée Reclus, Bruno Latour, Philippe Descola, Aymeric Caron et quelques autres. J’ai même lu le Pape, c’est dire, et je l’ai trouvé bon, ce qui n’était pas couru d’avance. Ces lectures m’ont nourri, assurément, sans que je puisse préciser ce que l’on retrouvera d’elles dans ce que j’ai écrit. Une influence ? Je ne sais. Un petit surcroît d’intelligence ? Certes. Mais tout cela reste flou. Et peut-être en partie illusoire. Je n’embarquerai donc personne – surtout pas des gens qui auraient pu être mes maîtres et que j’aurais dû tenir pour tels – dans le périple en solitaire que je vais vous conter. Et on les cherchera en vain dans les notes infrapaginales du présent ouvrage. Ce n’est pas de l’ingratitude. Au contraire. C’est de la discrétion. Et même un peu de modestie.
Dois-je faire état, enfin, des quatre ou cinq années de séminaire que j’ai consacrées à ces questions à l’École pratique des hautes études ? Oui, cela va de soi. Les interrogations de mes auditeurs, leurs remarques, leurs doutes, exprimés ou non, leur patience enfin ont accompagné mon errance. En séminaire, je peux tout dire. Je peux tout essayer. Tant que je suis assuré que personne ne m’enregistre, j’accepte de prendre des risques, sous le regard, ironique parfois, de ceux qui m’écoutent. Le risque de la sottise et de l’erreur. Le risque de la poésie. Celui de la plaisanterie aussi, toujours plus grave que l’on ne croit. Vient ensuite le temps du sérieux. Celui du livre. De la transcription, que je sais infidèle, et que j’ai voulu telle, des hasards et des nécessités d’une oralité nomade.
Certains collègues, chercheurs et universitaires, s’étonneront peut-être des libertés que j’ai prises avec nos méthodes. Ce n’est pourtant pas la première fois.[1] Ceci n’est pas un traité, ni un essai. C’est un vagabondage. Une méditation libre. Avec ses arrêts, ses détours, ses impasses. Je propose aux lecteurs de me suivre. Ils en sortiront changés. Ou pas. Du moins se seront-ils immergés dans un univers – la Bible et la lecture qu’en ont faite quelques-uns de ses exégètes anciens et médiévaux – aussi foisonnant, mystérieux, contradictoire, que ce que nous avons pris l’habitude, par paresse, d’appeler « la nature ».
Ce livre ne propose aucun modèle, il n’offre pas de solutions, il ne construit pas un système. Il ne rappelle qu’une seule chose, d’ailleurs connue de tous. Que nous n’avons qu’un mode d’accès à « la nature », comme à nous-mêmes, les humains : la culture, et l’histoire propre de chacun. La mienne est composite et a laissé sa marque ambiguë sur chacune des pages de cet ouvrage. Lequel a donc trois auteurs : l’enfant goy que je fus un temps, fils de ma mère, la catholique charentaise, filant sur mon vieux vélo à travers la campagne écrasée de soleil ; le jeune juif que je devins, l’année de mes vingt ans, fils de mon juif de père, méditatif et anxieux, à jamais citadin ; l’intellectuel enfin, à la fois dubitatif et loyal, que je suis aujourd’hui, traquant, entre les lignes de vieux textes, les échos étouffés de chacun de mes mondes. Voilà vraiment de quoi est né ce livre et voici le périple qu’il raconte.
[1] Voir mon Moïse fragile, rééd. (poche), Paris, CNRS Éditions, 2016.